Démolition de l’embarcadère et mise en place de la nouvelle gare (vers 1898)

Par Emilie Trébuchet, documentaliste INRAP, UMR 7324 CITERES-LAT

Georges Lemaître (1854-1940), notable vivant de ses possessions en Touraine, s’est passionné pour le patrimoine et la photographie à la fin du 19e s. Il a laissé à la société archéologique de Touraine, dont il fut inscrit membre correspondant à partir de 1889, un fonds de plaques de verre de grande qualité. Plus de 300 images sur Tours et sa région sont conservées.

Dans cette collection, une photographie enregistre une transition importante pour la ville de Tours : la démolition, à la fin du 19e s., de la première gare (dite « Embarcadère ») inaugurée en 1846 (en même temps que la ligne Orléans-Tours) et son remplacement par celle que nous connaissons aujourd’hui. Cette nouvelle gare, signée du célèbre architecte Victor Laloux est achevée en 1898 et la photographie de Lemaître contemporaine de cette finition.

L’image immortalise la superposition des deux façades monumentales des gares et nous intéresse par son effet général de stratification historique et visuelle.

Au premier plan, deux charrettes en mouvement sur le boulevard Heurteloup pavé ainsi que deux piétons, font directement écho à la modernité des transports ferroviaires suggérée par les plans suivants. La première gare au second plan, bien que très amputée, est toujours maintenue dans le paysage urbain et le souvenir des habitants. L’état de ruine et de vulnérabilité de la façade en cours de démolition est amplifié par les papiers peints arrachés et les poutres de soutien des murs. Il s’oppose complètement à la toute nouvelle construction du dernier plan, de pierre et de métal, imposante et monumentale. Ainsi les trois plans principaux de l’image constituent d’une certaine manière une coupe stratigraphique d’un phénomène majeur du 19e s.

Les deux façades de gare sont distantes de moins de 80 mètres et leur date de construction d’un peu plus de 50 années. La photographie illustre ici les effets d’une extension du réseau ferroviaire français dans la seconde moitié du 19e s. et son impact sur une ville telle que Tours. Les styles architecturaux rendent compte eux aussi de ce court écart chronologique en regard du fort renouvellement opéré : le style académique de la nouvelle gare a quasiment déjà remplacé le style néoclassique de l’ancien Embarcadère. L’espace intermédiaire entre les deux façades, jonché de débris et matériaux, témoigne quant à lui de l’ampleur des travaux entrepris. Enfin le cadrage de la photographie, tout en forçant le parallélisme entre les deux façades, témoigne aussi d’un recul de l’aménagement ferroviaire par rapport au boulevard et à l’aménagement routier, et des difficultés d’une insertion trop centrale des gares dans le tissu urbain.

La photographie de Georges Lemaître illustre à sa façon une archéologie des moyens de transport du 19e s. Elle enregistre non seulement les états des gares, préservant de l’oubli la destruction de l’Embarcadère, mais aussi, volontairement ou non, une transition entre la simple locomotion à pied, le transport par traction animale et un transport motorisé en pleine évolution. On imagine ainsi sans peine l’arrivée toute proche de l’automobile venant s’ajouter aux éléments captés par le photographe.

 

Vue de l’arrière de la façade de l’embarcadère à la même époque

 

Pour citer cette article: Trébuchet, E., Démolition de l'embarcadère et mise en place de la nouvelle gare (vers 1888), [en ligne], mis en ligne le 01 mars 2021, URL : https://rita.huma-num.fr/s/rita/page/chapiteauMarmoutier, consulté le